COLLOQUE OCDE
29 septembre 1999
STRATEGIES INDUSTRIELLES MONDIALES ET POLITIQUES PUBLIQUES
Document introductif au débat
Observatoire des Stratégies Industrielles
Sommaire :
Introduction
I Evolution sur moyenne période des stratégies industrielles mondiales dans la Triade :
I - 1- 1 Marchés : des évolutions géographiques contrastées
I - 1- 2 Marchés : des évolutions par métiers
I - 1- 3 Stratégies de localisation : l'entreprise mondiale éclatée
I - 2 -1 Les évolutions dans la gouverne des entreprises ; impacts sur les fusions et acquisitions, la rentabilité, le recentrage par métiers
I - 2 - 2 Les évolutions technologiques. Impact sur les réseaux, les tissus d'entreprises, les métiers.
I - 2 - 3 Quelles tendances géographiques pour les alliances ?
I - 3 - 1 Compétences : le management
I - 3 - 2 Compétences : tendances dans les grands groupes
I - 3 - 3 Compétences : les PME. Les services
II Evolution des politiques publiques : motrices ou adaptatives ?
II – 1 Qu'appelle-t-on politique industrielle ?
II – 2 Evolutions récentes : la mutation technico-économique des technologies de l'information
II – 3 L'équilibre parmi les pays développés et le cycle du millénaire des NCM
Conclusion
Préambule :
Le présent travail correspond à une demande de l'OCDE d'un essai pour son comité de l'industrie, portant sur l'évolution décennale des stratégies industrielles mondiales, et l'impact des actions des puissances publiques. La nature très large des questions posées peut en elle-même donner matière à plusieurs livres, et, en fait, c'est le cas. Qu'on ne voie donc ici, qu'une tentative de synthèse rapide de diverses sources, qui n'engage que son auteur, et est davantage de nature à donner quelques pistes de recherche qu'à prétendre à une description exhaustive.
Introduction :
La décennie qui s'achève avait commencé par des propos de démiurges sur la fin de l'Histoire. Elle a amplement prouvé s'il était nécessaire que la fin n'est pas écrite, mais que le contenu en est abondant : réunification européenne, émergence de la monnaie unique, croissance sans précédent de l'Asie, malgré des secousses, explosion surtout des technologies de l'information aux Etats Unis, puis dans le monde entier, pour ne citer qu'eux, donnent beaucoup à faire à qui veut décrire la façon dont les entreprises ont évolué, et les modifications profondes que cela induit pour les appareils publics. Les quelques pages qui suivent tentent de donner des indications sur les points suivants :
Une première partie traite des entreprises : évolutions des marchés, géographiques, par métiers, et par les évolutions des relations des firmes à des espaces géographiques, d'une part. Evolutions des métiers, dans les méthodes de management, avec le double impact des technologies et d'alliances nouvelles, d'autre part. Evolutions dans les compétences requises, enfin.
Une seconde partie évoque les réponses des appareils publics, ou, parfois, le rôle moteur qu'ils peuvent avoir dans les changements en cours. Elle rappelle sommairement les divers objectifs et outils dont disposent les puissances publiques, évoque le point singulier que constitue la révolution industrielle des technologies de l'information, et apporte quelques éléments au débat pour les négociations commerciales multilatérales à venir.
I Evolution sur moyenne période des stratégies industrielles de firmes de la Triade : déterminants et exemples.
Les stratégies de groupes industriels sont notamment tirées par leurs marchés, les évolutions technologiques, l'évolution de l'environnement des firmes. S'agissant des marchés, leur évolution dans le temps et l'espace est loin d'être isotrope. Sans prétendre résumer en quelques pages ce qui relève de façon détaillée des productions cumulées des " big five " en conseil et de travaux académiques, on peut cependant tracer quelques grandes lignes.
I - 1 - 1 Marchés : des évolutions géographiques contrastées, par périodes :
forte et de décloisonnement de marchés, avec une ouverture à la concurrence liée au marché unique, de 1985 à 1990. Le renouveau de capacité d'investissement des firmes lié au contre-choc pétrolier et à des taux d'intérêts qui, pour être encore élevés, se réduisent, conduit un très grand nombre de firmes à des stratégies d'expansion, d'abord européenne. Une période de taux élevés liée notamment à l'extension territoriale de l'Union, jusqu'en 1995, avec un décalage de cycle par rapport aux Etats Unis. Une période plus récente, de reprise, où le phénomène à l'œuvre outre Atlantique de croissance Schumpeterienne prend corps à son tour en Europe. Par ailleurs, on assiste à un découplage progressif entre la croissance des firmes et la croissance de leur marché domestique initial, tout simplement car le poids de celui-ci tend à se restreindre, mais aussi car elles ciblent nécessairement les marchés en plus forte croissance, qui ne sont pas toujours domestiques. A contrario, l'existence d'un marché domestique actif est évidemment un facteur de croissance mondiale accéléré : ainsi, la croissance de la production atteint-elle par exemple aux Etats Unis, de 1980 à 1995, 57%, pour 42% au Japon, 16% en Allemagne, 12% en France, à périmètre comparable.
productivité qui semblent indiquer que le paradoxe de Solow correspond à une réalité en voie de mutation. La concentration de ressources technologiques et la réactivité innovative des entreprises a joué, sur toute cette période un rôle d'attracteur fort pour de nombreuses firmes dont les pôles de décision historiques leur sont extérieurs. En outre, l'évolution vers une société de services est là la plus marquée, avec l'émergence de grandes firmes de services, qui obéissent à des logiques de type industriel en termes de concurrence, de technologies, de ressources humaines, de capital…Les exemples de Cisco, d'Amazon, de Microsoft en sont des illustrations parmi d'autres.
Le Canada, porté par les réformes structurelles mises en place à partir de la seconde moitié des années 80 (et décrites dans un fascicule de l'OCDE de 1999) a connu une croissance comparable depuis 1992, avec un accroissement constant de la part de l'investissement dans le PIB, et à partir de 1996 une réduction de sa dette. Son programme sur les NTIC (cf II infra) contribue aussi puissamment au renouvellement de son tissu entrepreneurial.
la plus forte sur la décennie, ce qui a focalisé l'intérêt de presque toutes les grandes firmes, même lorsque leur implantation y était historiquement faible. Le rapprochement des modes de gouverne des entreprises, évoqué lors d'un colloque à l'OCDE en février 1995, tend depuis à s'accroître, facilitant des alliances ou prises de participation qui étaient jusqu'alors restées, sinon peu nombreuses, du moins d'un impact économique encore réduit.
firmes, à commencer par le Mercosur. Dans de nombreux secteurs, ils apparaissent davantage comme un des champs où s'exerce la concurrence de firmes sont les pôles de décision principaux leur sont exogènes, que comme une zone d'où émerge des acteurs mondiaux majeurs, qu'il s'agisse d'automobile, de télécoms, d'aéronautique, de chimie ou de pharmacie, par exemple. Cela n'exclut pas l'apparition d'un tissu industriel dynamique.
I - 1 - 2 Marchés : des évolutions par métiers :
Quelques grands secteurs caractéristiques, sont mentionnés ci-dessous. Leur choix est nécessairement arbitraire : il résulte à la fois de leur importance dans les économies, de leur rôle parfois structurant sans les évolutions principales de ces économies.
Il s'agit d'un domaine par nature d'industries duales, où le rôle tant de la commande publique que de la R&D, pour une part publique, est majeur. Si à la fin de la guerre froide, les budgets de Défense des principaux pays, à commencer par les membres du conseil de sécurité, ont décru, il n'en a pas été de même aux Etats Unis, qui conservent sur toute la période, pour le DOD, un budget de R&D l'ordre de 40MM$ ; concomitamment, les dépenses de marchés publics de défense croissent : leur prévision pour l'année fiscale 1999 est de 49G$, pouvant atteindre 75 G$ en 2005. Le rôle de l'état fédéral à la fois moteur en termes de soutien à la technologie, et acheteur, est donc resté considérable.. Il a été mené en l'espèce dans le sens d'une concentration rapide de l'industrie à partir de 1990, dont les manifestations les plus visibles ont été la création de Lockheed Martin, ainsi que l'absorption de MDD par Boeing. Les Européens ont suivi, avec un peu de décalage, ces opérations de concentration, sur une base à la fois coopérative en matière civile (ce dont témoigne l'évolution d'Airbus industries), et de concentration nationale, sans exclure des coopérations, ce dont témoignent la concentration progressive autour de pôles comme Bae et Gec Marconi Saab et Constructiones Aeronauticas, Aérospatiale Matra, Deutsche Aerospace (Dornier, Erno, MTU, MBB, Deutsche Airbus), Alenia, tandis que des programmes (eurofighter par exemple) consolident ces restructurations. Il reste cependant un paysage où la diversité des situations stratégiques des firmes reflète la diversité des situations politiques, unicité de direction ici, diversité alliant concurrence et coopération, là, ce qui laisse pour l'avenir des évolutions très contrastées selon que l'on aura affaire en l'espèce à une Europe européenne, ou satellisée. L'émergence de nouveaux acteurs aérospatiaux, à l'Est, figure aussi comme une donnée importante de cette évolution.
conjoncture, avait conduit surtout à des recherches sur la qualité, la recyclabilité, la sécurité, et à des gains de productivité obtenus par la réduction du nombre des équipementiers pour un constructeur donné, et leur articulation en réseau où les flux de données circulent de façon rapidement accrue. Les alliances techniques se multipliaient aussi, mais sans forte reconfiguration, le cas Renault Volvo apparaissant comme un précurseur en même temps que comme la démonstration de la difficulté de la reprise de grands groupes entre eux, celui de Skoda par Volkswagen étant de moindre ampleur. La reprise, l'accumulation de marges, et l'exigence de rentabilité des marchés change cette donnée à partir de 1995. Les opérations récentes : Daimler-Chrysler, Renault Nissan, activités tous azimuts de GM, en témoignent. Les stratégies des groupes japonais continuent d'être importantes dans l'évolution de ce métier sur toute la période : si les années 80 avaient pour eux constitué une période de conquête aux Etats Unis, le durcissement de la concurrence qui en a résulté, ainsi que les perspectives d'ouverture du marché européen les ont conduit à une plus forte implantation en Europe, soit au sein de l'Union, soit, dans les cas où les coûts de main d'œuvre étaient prépondérants, à ses marches : c'est en particulier le cas de Toyota, présent désormais au Royaume Uni, en France, en Pologne…
Enfin, il faut mentionner que l'évolution des modes de distribution, lié aux NTIC et à l'évolution du droit en matière de distribution sélective est aussi désormais un enjeu de premier ordre de grandeur pour les constructeurs.
décennie. Parmi ses déterminants principaux , figure la demande, qui reste à 85% issue de la Triade, tandis que les pays émergents (à part le Brésil, l'Inde et la Corée du Sud) n'ont pas encore enclenché de croissance vraiment significative en ce domaine. Cette demande reste peu sensible aux cycles économiques, davantage au vieillissement de la population des pays développés, et aussi aux mesures de politiques publiques nombreuses qui l'affectent. De telles politiques ont eu comme effet un encadrement des dépenses (soit en incitant les médecins à éviter des prescriptions budgétairement excessives, comme en Allemagne ou en France, soit en exerçant directement une pression sur les prix des médicaments -Japon, Italie-, soit en incitant à la substitution des " éthiques " par des " génériques "). Le cas des Etats Unis apparaît singulier, où la réforme de la santé prônée par les démocrates s'est heurtée à l'opposition d'un congrès républicain en novembre 1994, hostile à une réglementation supplémentaire, mais où le développement des organisations de gestion de soins (HMO's) ont joué un rôle dans le marché plus grand qu'ailleurs, moins régulateur des prix, mais source cependant de gains d'efficacité. (voir p.ex N Weinmann, Grands groupes pharmaceutiques mondiaux, une nouvelle approche de la santé, déc 97)
Une autre caractéristique de ce métier, est d'être relativement peu concentré par rapport, par exemple, à l'automobile, où les trois premiers opérateurs ont un tiers du marché : quoique fluctuant au cours de la période considéré, ce chiffre n'excède guère la moitié pour les groupes pharmaceutiques, alors même que les coûts de développement de molécules rendent importante la taille. En revanche, la rentabilité du secteur est élevée. Il en est résulté un flux de fusions et acquisitions particulièrement élevé sur la décennie, qui aboutit aujourd'hui à l'apparition de groupes dont le chiffres d'affaires est désormais de l'ordre de grandeur de 10-30MM€. En même temps, ces groupes, souvent issus de conglomérats chimiques, se recentraient (voir p ex étude du Pr Paulré sur le recentrage dans les firmes de haute technologie, oct 99). Ce processus est aussi à l'œuvre dans la chimie (avec des groupes parfois mixtes ) : en 1997, les 10 premiers groupes chimiques mondiaux représentaient 29% des ventes mondiales contre 17% en 1989.
Une troisième caractéristique forte concerne les coûts de R&D, dans un domaine qui est intensif en savoir : cela a conduit à deux grandes tendances : la multiplication des alliances et consortia ad hoc, pour réduire les coûts de développement, ou mutualiser les risques (dont une des traduction les plus récentes sont les consortia constitués en 99 autour du séquençage du génôme humain, mai son peut aussi citer des opérations comme Caremark alliance avec Carmark international, Pfizer, Eli Lilly, Bristol Myers Squibb, RPR, permettant de rapprocher les laboratoires de préoccupations d'organismes de gestion de soin). Mais aussi des partenariats nombreux montés avec les centres de recherche universitaire : de ce point de vue, l'intensité de la recherche universitaire, y compris publique, a servi d'attracteur à de nombreuses entreprises, le budget de 13MM$ de la NIH étant en l'espèce le plus massif.
lance d'un nouveau paradigme techno-économique, comme le rappelle le communiqué du conseil des ministres de l'industrie de l'Union européenne du 2 juillet 1999 sur la compétitivité dans la société de l'information, et de façon plus détaillée, les rapports Magherio sur le commerce électronique ou les travaux d'I. Magaziner, relève d'un exercice de plus grande ampleur que ne le permet ce document. On peut en trouver des éléments de synthèse dans " l'industrie électronique européenne ", édité par le ministère français de l'économie, des finances et de l'industrie, ainsi que dans une littérature qui semble elle aussi assujettie à la loi de Murphy. Pour se borner à l'essentiel, il faut souligner :
- que le poids relatif des opérateurs américains en ce domaine n'a cessé de s'accroître, et que leurs stratégies dans de nombreux cas déterminent celles des autres acteurs. C'est particulièrement évident dans le cas du commerce électronique émergent, où il n'y a pas de Cisco ou d'Amazon européen ou japonais, par exemple.
- qu'on n'assiste pas, ou pas encore, en Europe à la constitution d'un véritable pôle productif caractérisé par des liens commerciaux et stratégiques étroits entre certaines firmes du secteur. Comme on l'observe dans le secteur des semi-conducteurs, des alliances entre entreprises européennes existent. Mais des accords au moins aussi forts ou aussi stratégiques existent entre groupes européens et autres dans la triade.
- que pour autant, l'industrie électronique européenne, dont certains annonçaient la disparition dans un espace de temps assez court, a évité la catastrophe durant la période cycliquement plus difficile pour l'Europe de la première moitié de la décennie, et semble trouver un second souffle. Des programmes, comme Esprit, Race, Jessi, Euréka, y ont contribué. De façon plus significative, l'adoption de programmes pour la société de l'information par tous les grands pays industrialisés durant les deux dernières années, en tant que de besoin déclinés au niveau communautaire, pour les pays européens, a créé une dynamique nouvelle. Elle sera évoquée au II infra. Cela se traduit par un redressement dans l'industrie des semi-conducteurs, la poursuite d'un déclin relatif pour le matériel informatique, des situations contrastées dans l'électronique grand public et le multimedia, où des fusions récentes comme celle de Viacom, et les perspectives du commerce électronique conservent un avantage relatif aux Etats Unis, des positions solides mais fortement concurrencées sur les équipements de télécommunication…
- que l'entreprenariat technologique, avec toutes les composantes qui le facilitent (intensité de la R&D privée et publique, compétence au niveau de l'excellence mondiale de certaines universités, taille du capital-risque, large disponibilité de réseaux d'information) est un moteur essentiel dans l'évolution de ces marchés, où l'innovation est portée par l'établissement de normes de fait, confortées par des droits de propriété intellectuelle. Ces différentes composantes sont présentes en Amérique du Nord, l'étaient insuffisamment en Europe où elles connaissent un essor remarquable depuis deux à trois ans, ainsi que dans plusieurs pays d'Asie, à commencer par le Japon..
I-1-3 Stratégies de localisation : l'entreprise mondiale éclatée.
Avec la mise en place de l'€, la concurrence entre territoires pour l'attraction d'investissements s'est accentuée : à la fois, l'attraction de ces investissements devenait un enjeu crucial pour les économies, du fait de leur plus grande mobilité (les flux mondiaux d'investissements directs à l'étranger passent pour les 6 premiers pays de 350 MM$ en 1985 à 1209MM$ en 1995) Cette question se pose aussi pour les Etats Unis, entre chacun des Etats fédérés, mais avec une intensité un peu moindre, compte tenu du poids relatif des Etats européens sur leurs économies respectives. Elle s'est traduite, dans tous les pays européens, par des travaux sur ces sujets, soit spécifiques, soit globaux comme par exemple le " Standort Deutschland " en Allemagne, ou " France Industrie 2000 " en France, et au niveau mondial, par exemple par les travaux récurrents utilisés par le WEF. Il en ressort des évolutions sensibles au cours de la décennie :
I - 2 -1 Les évolutions dans la gouverne des entreprises ; impacts sur les fusions et acquisitions, la rentabilité, le recentrage par métiers
Les distinctions opérées au début de la décennie entre capitalisme rhénan et anglo-saxon ont tendance à se réduire, comme le montrait déjà le colloque organisé par l'OCDE le gouvernement suédois et le ministère français en charge de l'industrie en 1995. L'accélération, en particulier depuis 3 ans, des fusions et acquisitions a amplifié le phénomène, de plusieurs façons :
Cette exigence de rentabilité, qui traduit aussi d'une certaine façon le vieillissement structurel de la population, a d'autres effets :
I - 2 - 2 Les évolutions technologiques. Impact sur les réseaux, les tissus d'entreprises, les métiers.
Plusieurs travaux de prospective ont été fait sur les mutations de systèmes techniques. L'OCDE en a conduit pour la préparation de l'exposition universelle de Hanovre, auxquels on peut utilement se reporter, ainsi qu'aux travaux conduits par exemple aux Etats Unis, au Japon, en Allemagne, au Royaume Uni, en France, en Suède, sur les technologies clés. Leur détail excède ce papier. Mais tous font, de façon évidente, ressortir deux enjeux majeurs à long terme, celui des technologies de l'information, et celui lié aux biotechnologies. Le premier implique une explosion sur la quantité de données échangées (le nombre de sites sur internet double environ tous les 100 jours, en ce moment). Les effets sont massifs :
I - 2 - 3 Quelles tendances géographiques pour les alliances ?
La multiplication des alliances, facilitée par les NTIC, qui permet des échanges d'information à coût très bas entre entités différentes pose en elle-même la question de l'évolution de la théorie de la firme par Williamson, et permet de parler d'entreprises-réseaux.
Mais ceci ne dit rien sur la densité relative des liens qui se tissent par zones géographiques : assiste-t-on plutôt à une mondialisation isotrope des entreprises sur les principaux marchés mondiaux, ou à une mondialisation dont les pôles principaux de décision tendraient à se concentrer sur une zone de la Triade, ou bien à une régionalisation des zones d'influence, où la création de l'Union européenne, du Mercosur, de l'ALENA, etc auraient un rôle déterminant, ou bien le dynamisme schumpeterien de l'économie doit-il être surtout cherché dans des liens de proximité locale de PME dynamiques, où la théorie des clusters décrit en fait le phénomène le plus structurant de l'économie ? Les quelques éléments qui suivent, sans apporter de réponse définitive, donnent des pistes :
a) Le marché unique européen a été structurant tant pour les grands groupes européens que pour les moyennes entreprises :
S'agissant de ces dernières, diverses études montrent que leur stratégie d'approche des marchés, pour l'essentiel nationale ou locale avant 1985, est devenue européenne pour plus de la moitié d'entre elles dès le début de la décennie : les produits, le marketing, les stratégies d'alliance étaient pensées a priori pour un marché intérieur européen, avec des extensions mondiales possibles. L'€ a conforté de telles stratégies, en supprimant le risque de change pour une vaste majorité des marchés de l'Union.
Mais avec le développement de l'internet, qui met plus directement en concurrence des opérateurs auparavant plus lointains, ces stratégies sont appelées à changer, et, pour des raisons liées au caractère récent du phénomène, et aussi à la relative pauvreté des outils statistiques (ne serait-ce que parce qu'un certain désordre dans le nommage rend pour l'instant encore plus difficile qu'à l'ordinaire d'émettre des avis péremptoires).
Par ailleurs se multiplient des petites entreprises nouvelles sur des marchés émergents liées aux technologies de l'information. Ce phénomène, dont l'ampleur a porté la croissance aux Etats Unis depuis 1992, tout en accroissant les gains de productivité et l'innovation, commence à être sensible en Europe, où les fondamentaux macroéconomiques de la première moitié de la décennie l'avaient un peu inhibé. Il en résulte que si les petites entreprises, de moins de 10 personnes, constituent déjà au sein de l'union un tiers de l'emploi concurrentiel, cette part est probablement appelée à croître, au moins dans un premier temps.
S'agissant des grandes entreprises la période de construction du marché unique a été aussi celle où, bénéficiant d'un contexte de croissance forte et de capacité d'investissement liées, entre autres, au contre-choc pétrolier, les flux d'investissements directs à l'étranger des grandes entreprises ont explosé, passant par exemple pour la France de 5GF en 1985 à 140 GF en 1990, dont les deux tiers étaient orientés vers l'Europe, la tendance générale étant alors à la prise de positions stratégiques de chacun des grands groupes européens dans le nouveau marché unique. La période suivante (1990-1995) a été contrastée, selon des caractéristiques plus nationales : l'Allemagne a consacré une part massive de ses investissement à la reconstruction des nouveaux länder, la France, en situation de relatif sous-investissement, tout en restant centrée sur l'Europe, regardait davantage et la nouvelle croissance des Etats Unis, et celle des pays d'Asie, les firmes italiennes présentant, en moyenne, des stratégies voisines de leurs consoeurs transalpines, tout en regardant cependant un peu plus à l'Est (Fiat, notamment), le Royaume Uni paraissant alors avoir une approche plus globalement mondialisée.
b) Une période récente plus contrastée par métiers, mais où la croissance américaine sert d'attracteur :
Des travaux récents d'analyse sur les alliances de groupes Français et Allemands montrent les grandes tendances suivantes :
1) Aéronautique et espace :
Ce point a été évoqué au I -1 -2 supra.
2) Automobile
Les coopérations franco-allemandes entre constructeurs du secteur automobile sont réduites : elles concernent actuellement le recyclage (coopération entre Renault, BMW et Mercedes Benz) et la recherche (programme EUCAR qui associe PSA, Renault, BMW, Daimler-Benz, et VW). Ce dernier programme porte notamment sur la dépollution, les systèmes de gestion de trafic et les techniques de production.
En termes d'alliances stratégiques, l'accord Renault Nissan, comme l'accord Daimler-Chrysler, en revanche, constituent des alliances extra-européennes de première grandeur.
Dans le secteur de l'équipement automobile en revanche, il faut noter les nombreuses implantations d'équipementiers Allemands en France (Bosch, Siemens, Mannesmann, Freudenberg…, ) qui réalisaient en 96 13,5 GF de CA et exportaient en France 17,6 GF, sur un marché de 101 GF (source : SIM), tandis que les équipementiers Français en Allemagne exportaient (en 97) 18 GF et produisaient sur place 6,8 GF.
Globalement, ce secteur correspond à 4,2% des accords industriels passés entre la France et l'Allemagne sur la période 93/98 (ce qui est moins que sa part de PIB industriel).
3) Pharmacie
La situation de ce secteur est plus contrastée : c'est d'une part celui dans lequel les accords de coopération sont les plus nombreux, et la fusion Rhône Poulenc Hoechst renforce cette tendance. Mais d'autre part, les autres opérateurs allemands ont une stratégie beaucoup plus tournée vers les Etats Unis : en 1999, la quasi totalité des accords de Bayer ont été avec les Etats Unis, l'accord BASF /Roche, porte essentiellement sur la répartition des coûts d'une condamnation aux Etats Unis, supportée aux deux tiers par Roche, et BASF annonce son intention de se développer désormais au Japon. Boehringer a quant à lui une stratégie mondiale équilibrée, et dont les principales composantes sont en Europe pour 42%, aux Etats Unis, pour 39%.
Autrement dit, la France et l'Allemagne apparaissent l'une à l'autre comme des partenaires très important, mais sans préjudice de liens de même ampleur avec les Etats Unis et de tenir compte de l'évolution récente des entreprises japonaises du secteur vers une plus grande mondialisation.. Par ailleurs, les efforts déployés par les Brittaniques sur le génôme ne peut laisser non plus indifférents. Aussi, les attracteurs que constituent les dispositifs de recherche publique ouverts à des partenariats seront déterminants pour que l'épicentre évolue davantage dans une direction transatlantique, ou soit davantage européo-centré. Il reste d'une part que plusieurs pays européens ont une tradition forte, datant de la fin du XIXè et visible dès leur enseignement secondaire, vers la chimie et les sciences du vivant, qui ne peut les rendre sensibles à la perspective de développer en Europe des pôles d'excellence, d'autre part que la NIH, et quelques programmes du DOE, constituent aujourd'hui les politiques publiques quantitativement les plus significatives.
4) Multimedia
En Europe, sur la période 93/98, les firmes françaises, portée par leurs atouts dans les domaines de programmes, des équipements multimédias, de la télévision interactive et du commerce électronique, sont les plus dynamiques en termes d'alliances mondiales, participant à 24% du total des alliances (pour 50% à l'ensemble des firmes européennes, 76% pour les firmes américaines, 14% pour les japonaises, 10,4% les allemandes).
Ce dynamisme est d'abord tourné vers les Etats Unis (57% des accords), tandis que le partenariat franco-allemand reste réduit (ce qui n'est qu'une traduction partielle d'une réalité plus générale : la faiblesse des partenariats intra-européens en l'espèce) : 1,6% des opérations d'alliances, ou de fusions et acquisitions sont franco-allemandes, même si, commercialement, l'Allemagne est premier partenaire européen de la France. Toutefois, cette réalité doit être nuancée par un élément récent, qui est l'accélération de ces alliances, sous l'impulsion de firmes productrices de programmes, telles Havas et Bertelsmann : près de la moitié des alliances sur 5 ans ont eu lieu dans la dernière année, et ces deux firmes ont représenté 38,5% du total des accords depuis 5 ans.
Une mention particulière doit aussi être faite de l'accord Kirch Mediaset, qui pourrait s'ouvrir à des diffuseurs français, et par ailleurs partage avec Canal+ des ambitions significatives d'expansion hors de son marché domestique.
De façon plus fine, la typologie par secteurs montre que le premier secteur objet des coopérations franco-allemandes dans le multimedia au sens large (industries de réseaux, de programmes, de logiciels, de semi-conducteurs, télévision interactive, commerce électronique) sont les télécoms (37%, mais ce résultat doit être nuancé par l'évolution de la coopération FT/DT constatée au printemps), puis ex aequo les industries duales, les logiciels et services (12% chacun). Ces coopérations se font d'abord par filiales communes (24,6%) puis par rachats (16%) et accords technologiques (16%), enfin par filiales communes de R&D (12%).
Enfin, il ne faut pas oublier que ces données agrégées traitent d'opération de grande ampleur, mais que parmi celles-ci il y en a de plus structurantes que d'autres : la fusion Viacom-CBS, par exemple, compte à elle seule davantage que l'ensemble des opérations Havas Bertelsmann mentionnées ci-dessus.
En résumé, et sans que cet aperçu ait sans doute suffisamment intégré l'évolution des firmes asiatiques, la dynamique d'innovation et d'évolution vers des métiers à haute intensité cognitive ne permettra de maintenir un équilibre de pôles de décision à long terme à l'échelle planétaire que si d'une part des liens équilibrés se tissent, plus encore qu'aujourd'hui, entre entreprises asiatiques et entreprises occidentales, et si, d'autre part, l'Europe parvient à mettre en œuvre des programmes de R&D, avec une composante publique et des caractéristiques, qui soient aussi structurants que ceux développés aux Etats Unis, et qui sont plus amplement décrits au II-2 et 3 infra.
I - 3 - 1 Compétences : le management
A des réalités économiques nouvelles correspondent de nouveaux talents. Une description récente d'un éminent dirigeant suédois paraît à cet égard éclairante : le dirigeant type de grand groupe mondialisé est aujourd'hui un homme, quinquagénaire ou sexagénaire, ayant eu une fréquemment une compétence scientifique ou technique forte dans l'une des grandes branches stratégiques de sa firme, une carrière internationale, et, fréquemment, ayant une large part de sa carrière au sein du même groupe. Celui de dans dix ans est de dix ans plus jeune, homme ou femme, avec une large capacité de mise en réseau et d'animation d'équipes, également une carrière internationale, et il ne vient pas nécessairement de l'entreprise qu'il dirige, mais a eu une trajectoire rapide lui permettant de connaître les meilleures pratiques d'un grand nombre. Il maîtrise suffisamment les questions ayant trait à la croissance externe, en même temps que la gestion du savoir ("knowledge management") et de l'innovation. Il connaît fréquemment bien les questions ayant trait aux services, à la communication, voire à la propriété intellectuelle. Il a intégré l'assertion d'un de ses pairs : "there will soon be only two kind of firms : the quick, and the dead".
Parallèlement, un plus grand nombre de dirigeants seront des créateurs de leur propre entreprise, voire, des "serial entrepreneurs" poursuivant en cela une tendance déjà observée au cours de la décennie écoulée où une part croissante de la valeur ajoutée et de l'emploi provient de PME. Une des différences notable entre le modèle américain et le reste du monde tient à ce que près du tiers de ses grandes entreprises étaient tout juste nées il y a 20 ans, tandis que les modèles européens tendent à faire évoluer, parfois avec une grande agilité, leurs grandes structures, mais en suscitent plus rarement de nouvelles. Il n'est pas certain que cet état de chose perdure, dans un monde fort rétréci par les NTIC : des forces sont déjà à l'oeuvre, en Europe en tout cas, pour une évolution.
I - 3 - 2 Compétences : tendances dans les grands groupes
Les gains de productivité requis par des marchés désormais ouverts à la concurrence , et la mondialisation des implantations des groupes, ont induit plusieurs évolutions :
Enfin, pour les plus hauts potentiels, le phénomène de brain drain continue d'être présent pour les pays les plus développés, à peu près à proportion de leur taille. Mais la concurrence en l'espèce s'est intensifiée : dans tous les métiers à haute valeur ajoutée où l'enjeu est non pas d'être dans les 3 ou 5 premiers mondiaux, mais le premier dans l'innovation qui détermine la norme de fait du marché, l'excellence conduit à de fortes concentrations universitaires.
I - 3 - 3 Compétences : les PME. Les services
Les modifications majeures de l'économie industrielle induites par les technologies de l'information, déjà évoquées plus haut se traduisent évidemment dans les besoins des PMI, en particulier :
II Evolution des politiques publiques : motrices ou adaptatives?
II – 1 – 1 Qu'appelle-t-on politique industrielle ?
Si la politique étrangère, la politique économique, paraissent des notions intuitives, la politique industrielle renvoie quant à elle à des notions diverses, et à des représentations différentes selon les interlocuteurs et les pays : politique de compétitivité par un environnement favorable des entreprises pour les uns, de développement de grands réseaux pour d'autres, pour certains se confondant avec une politique technologique, parfois enfin perçue surtout au travers de ses aides financières comme un moyen d'accompagner des restructurations, ou comme un reliquat de politiques sectorielles. Eclairer le concept est donc nécessaire, et ce sur une assez longue période pour limiter des effets d'optique conjoncturels. L'OCDE y a largement contribué, pour s'agissant des aides publiques, dans son rapport sur " les aides publiques à l'industrie " de 1998, en dépit de quelques lacunes qui demeurent, s'agissant des dépenses de recherche aux Etats Unis. Ce qui suit vise surtout à resituer les différents objectifs et attentes auxquelles les industries répondent, et pour lesquelles les pouvoirs publics sont, peu ou prou, sollicités, et de rappeler les priorités qui en résultent.
La politique industrielle apparaît alors comme la résultante de plusieurs attentes d'un pays, régaliennes, économiques, sociétales. Du point de vue des institutions, elle est aussi un mode d'expression d'intérêts dans des mécanismes décisionnels publics complexes.
1) Aspects régaliens :
L'industrie figure doublement comme vecteur de puissance :
2) Une approche sociétale : des réponses multiformes à des demandes sociales :
La politique industrielle est aussi la traduction d'attentes nombreuses que suscite l'activité industrielle, outre la production et la vente de biens et services : attentes en matière d'emploi, d'organisation du travail, d'aménagement du territoire, d'environnement, de santé, de financement des retraites, etc, qui toutes dépendent à la fois de l'existence d' industries prospères, mais aussi de l'exercice de ces industries dans des conditions respectueuses de l'homme et de l'environnement. Le cadre désormais mondialisé où s'exerce l'industrie et les services qui lui sont liés crée de ce fait une compétition permanente entre territoires, nécessitant des approches concertées internationalement des politiques publiques conduites qui affectent l'exercice de l'industrie. Le droit qui en résulte est parfois contraignant, parfois incitatif.
3) Une approche économique : l'industrie comme outil de la prospérité :
Source dans les principaux pays industrialisés d'une part majoritaire de la DIRD l'effort de R&D national et par là d'innovations qui diffusent dans la totalité de l'économie, d'une part notable du PIB et de l'emploi, surtout si on la comprend au sens large avec les services qui lui sont directement liés mais qu'elle a externalisés, d'une vaste majorité des exportations pour presque tous les pays, l'industrie est un moteur majeur de l'économie, et comme telle, figure soit explicitement en tant que telle, soit par diverses de ses composantes, dans les discours publics qui promeuvent l'économie parmi les principaux pays industrialisés.
4) Une approche analytique : l'expression d'intérêts dans des mécanismes décisionnels complexes:
A quelque niveau qu'ils s'expriment, locaux, régionaux, nationaux, de l'union européenne ou multilatéraux, les appareils publics prennent des décisions, en permanence, qui affectent l'industrie dans les territoires de leur ressort, délibérément ou non, positivement ou non. Compte tenu du rôle important de l'industrie rappelé ci-dessus, il est normal que des dispositifs démocratiques évaluent ces décisions, et prennent en compte leurs impacts industriels : de ce point de vue, les politiques industrielles sont aussi, et de plus en plus largement, la résultante d'une interaction quotidienne entre différents appareils publics, nationaux ou non ; elles sont, notamment, en interaction permanente avec les politiques de concurrence et les politiques commerciales, mais aussi fiscales, sociales, environnementales, de transport, etc. Elles n'apparaissent plus guère ainsi avec le calme majestueux d'un jardin à la française, selon une logique simple qui irait d'un grand dessein conçu au sommet à sa réalisation, mais comme un lieu de négociation permanente entre diverses préoccupations légitimes.
Un triptyque stable dans le temps :
De ce qui précède, la politique industrielle, si elle connaît de multiples évolutions, paraît cependant conserver un fondement stable selon trois grands axes : le premier est l'exigence de croissance et de développement, de prospérité, d'emploi, qui veut des Etats incitateurs, facilitateurs quant à l'environnement des entreprises, parfois bâtisseurs (ce dernier point, dans une société cognitive, donne une priorité à l'existence d'un cadre légal approprié au développement des infrastructures de communication). Le second est réglementaire, et vise au contraire à pallier les insuffisances du marché à répondre à des exigences de très long terme (environnementales, par exemple), ou de justice sociale. L'opposition entre ces deux séries d'objectifs légitimes trouve une part de sa résolution dans un troisième axe, le progrès technique, et donc des politiques de formation, de soutien à l'innovation et à la technologie.
Concrètement, ceci s'est traduit, s'agissant des seules aides à l'industrie, par des évolutions sensibles sur la période : si les années 80 connaissaient encore une certaine disparité des dispositifs publics, et des aides à l'investissement matériel, ou des aides directes au commerce extérieur, importantes, le début de la décennie voit les principaux pays se focaliser sur les soutiens aux PMI (souvent via des politiques régionales) supposés avoir des retombées locales plus importantes, et le soutien à la technologie et à la R&D. Cette seconde tendance évoluera elle-même, sous la pression conjointe des accords de l'OMC, de benchmarking permettant d'éviter des politiques structurelles non coopératives et inefficaces, enfin de la mondialisation des entreprises, vers une réduction, à l'exception de certains domaines clés, comme les NTIC ou les thèmes ayant trait à la santé.
D'autres réformes structurelles ont eu naturellement aussi un impact majeur sur l'industrie mondiale : l'Omnibus Trade Act de 1988 a eu un rôle dans la remontée de la compétitivité manufacturière des Etats Unis, la création de l'€, et des réformes qu'il implique, en a un dans celle de l'Europe, pour ne citer que deux exemples majeurs.
II – 2 Evolutions récentes : la mutation technico-économique des technologies de l'information.
Dans un monde ouvert, où les appareils publics sont à la fois en concurrence et en coopération, il serait vain de prétendre revenir à des définitions trop normatives de ce que sera la politique industrielle. Elle sera à l'évidence, plus encore que par le passé, très fortement imbriquée avec l'ensemble des politiques conduites par les Etats (conjointement, dans le cas de l'Union européenne, avec les institutions communautaires), en liaison étroite avec les régions et les collectivités locales. Pourtant, un axe semble émerger comme plus déterminant que d'autres : celui de la société de l'information. Il est esquissé dans ce qui suit
Ces technologies sont diffusantes dans toute l'économie ; déterminantes pour les principales évolutions de l'emploi ; structurantes pour nombre des principaux changements de la société, de mode du travail comme d'évolution des modes de vie hors du temps de travail, de mutation des marchés financiers, d'évolution vers les services ; déterminantes pour les évolutions des coûts, du marketing, de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire, du juridique, des modes d'expressions artistiques et plus généralement culturels, partie intégrante de priorités de défense ; nées de la recherche et l'alimentant sans cesse, outil utile pour l'enseignement comme pour la formation permanente, elles sont à la source de l'émergence d'une société cognitive. Elles sont à la source de perspectives de croissance très importante dans de nouveaux services, selon un processus de destruction créatrice, dont le solde en emplois s'est avéré, pour les pays qui s'y sont lancés les premiers, très positif. Elles sont aussi, avec l'émergence du commerce électronique, à la source d'une nouvelle donne des termes de l'échange qui laisserait dans une situation dégradée les pays qui n'auraient pas eu très vite de réaction d'ampleur adéquate. Source d'un nouveau dynamisme entrepreneurial et d'une meilleure perception de l'activité industrielle par chacun, catalyseur possible pour la modernisation des Etats, objet d'une priorité forte dans tous les grands pays, à commencer par les Etats Unis, leur maîtrise harmonieuse apparaît pour les années à venir comme l'enjeu majeur numéro un de politique industrielle.
De fait, chaque grand pays industrialisé a mis en œuvre des politiques visant à accélérer l'usage des NTIC : si des discours publics se font jour sur ce thème dès 1990, le premier d'ampleur politique massive est sans doute celui de 1995 aux Etats Unis, sous la plume d'Al Gore, qui donnera lieu par la suite à un flot permanent d'interventions publiques des pays de l'OCDE. Tous comprennent un volet légal (ouverture à la concurrence des télécom, cryptage, protection des personnes, évolutions des droits de propriété intellectuelle pour le multimedia…), un volet innovation et R&D, un volet éducation, un volet diffusion des techniques auprès des usagers, entreprises ou particuliers, plusieurs contiennent des volets relatifs à la culture, ou à l'amélioration des services publics. Tous ont intégré les perspectives de croissance considérable du commerce électronique. Tous enfin sont assez fortement interactifs les uns avec les autres, leur comparaison étant rendu plus facile par la mise en ligne en temps réel de leurs évolutions. Tous ne sont pourtant pas équivalents : l'intensité d'efforts coordonnés et cohérents en matière de recherche fondamentale et appliquée demeure la plus forte aux Etats Unis.
II – 3 L'équilibre parmi les pays développés et le cycle du millénaire des NCM :
Deux phrases se répondent, de part et d'autre de l'Atlantique : Henry Kissinger " for the US to stand alone as the sole imperial power is not healthy ". et de Peter Sutherland, dans son rapport commun avec Robert Zoellick et Hisashi Owada de mars 1999 sur " les stratégies des pays de la Triade au 21è siècle, en concert ou en conflit " : " même si la domination militaire américaine s'est généralement exercée avec douceur, il est clairement indésirable pour de nombreux Européens que les Etats Unis soient le seul gendarme du monde (…)L'Union européenne peut de plus en plus être considérée comme une superpuissance économique unique, rivalisant avec les Etats Unis et capable de produire un certain équilibre… ". On l'a vu, la politique industrielle prise sous cet angle régalien comporte les industries de défense ou duales, et les dépenses de R&D du DOD sont très supérieures à l'agrégation des dépenses comparables des pays européens. Elles portent notamment sur les industries aérospatiales, mais aussi les NTIC (voir par exemple http://www.hpcc.gov/ac/report/section_2.html), et comprennent un volet sur les bioindustries. Le cycle d'Uruguay traitait bien de l'équilibre multilatéral des aides, en matière agricole et industrielle, mais seulement civile : le déséquilibre structurel apporté dans ces négociations par l'absence de prise en compte du différentiel militaire se traduit, sur l'espace d'une décennie, par l'accroissement de la prééminence américaine, également dans le domaine civil, même si les liens de causalité sont indirects (faut-il rappeler qu'internet est né d'une préoccupation de défense…). Cela se traduit du reste, dans l'enceinte de l'OCDE, par une phrase pudique concernant les aides à l'industrie : " Des moyens indirects de soutien comme les marchés publics, les contrats de R&D et les institutions intermédiaires de R&D acheminent vers l'industrie manufacturière des ressources financières beaucoup plus importantes que les aides directes. Même si l'élément de soutien contenu dans les mesures d'aide indirecte ne représente qu'un très faible pourcentage, il devrait correspondre à des montants très élevés. Comme on ne s'est pas mis d'accord sur une méthodologie permettant de mesurer l'élément de soutien des aides indirectes, des incertitudes subsistent quant à son rôle en tant qu'instrument de politique, et plus précisément, en tant qu'instrument d'aide à l'industrie manufacturière ". Le tableau ci-dessous, indiquant quelques perspectives d'évolution des dépenses du DOD, permet de donner un ordre de grandeur de ce dont il est ici question :
Budgets du DoD
(perspectives d'investissement, milliards de dollars, FY99-FY05)
FY99 |
FY00 |
FY01 |
FY02 |
FY03 |
FY04 |
FY05 |
|
RDT&E |
37 |
34 |
34 |
35 |
35 |
35 |
34 |
Procurement |
49 |
53 |
62 |
62 |
67 |
69 |
75 |
Quant au passé, l'effort public aux Etats Unis de R&D au cours de la décennie a représenté de l'ordre de 75 MM$/an, (DoD + NIH+ NASA+ DoE+ NSF+DoA+ DoC+ DoT= DoI+ EPA), dont 40 pour la partie militaire, et, pour la partie civile, en croissance sur la période, en dépit de tendances contraires au Congrès, une répartition par moitié entre recherche de base et recherche appliquée. La partie militaire est pour sa part dirigée vers deux secteurs industriels, l'aérospatiale pour envrion 20 MM$, et l'électronique et les télécommunications, pour 10 MM$. Dans la partie civile, le budget de la NIH évolue autour de 13 MM$ ; dans ce dernier domaine, la santé , on a vu l'accroissement des liens entre entreprises et laboratoires publics, sous la pression de la concurrence, ce qui confère un rôle d'attracteur à ces laboratoires pour l'industrie, qu'on observe effectivement dans les mouvements stratégiques de la plupart des grandes sociétés pharmaceutiques. Nul étonnement ainsi à la croissance de ces trois secteurs intensifs en haute technologie…
Il importe donc d'une part que le nouveau cycle intègre en tant que de besoin ce souci d'équilibre, d'autre part et surtout que les Européens et d'autres pays développés se dotent de moyens à la mesure des enjeux. A défaut, la tendance déjà mentionnée au I-2-1 ci-dessus a quelques chances de se poursuivre, sans qu'il soit assuré que le chemin de croissance ainsi poursuivi sera globalement plus équilibré ni n'assurera au plus grand nombre une meilleure prospérité.
Cette question n'est pas non plus séparable d'une autre, évoquée récemment par le directeur du FMI : l'aide au développement, ou le risque d'oubli des plus déshérités induirait, sur le territoire même des plus riches, des situations difficiles à gérer : l'un des effets des technologies de l'information est une mise en concurrence par les prix générale, qui a conduit divers économistes à suggérer qu'elle induit, au sein des pays développés, un accroissement des écarts de revenus (p. ex Krugman in " Peddling prosperity ", ou PN Giraud in " L'inégalité du monde "). C'est bien ce qu'on observe. Dans une planète globalisée, les autoroutes de l'information peuvent aussi bien conduire à une centralisation du savoir sur un petit nombre très compétitifs, avec de fortes instabilités, ou à une croissance à la fois plus forte et plus harmonieuse qui entraîne la plus large part possible de l'humanité : tâche difficile, mais nécessaire, pour le prochain cycle des NCM, que seules des instances de concertation internationales pourront permettre de mener à bien.