L'e-krach marque-t-il la fin de la net économie?

Un survol de l'économie numérique conduit certains à l'assimiler à la courbe du Nasdaq, marché dominant des capitaux investis dans les sociétés innovantes, qui a été porté surtout par les TIC. Ainsi ceux-là même clament-ils la mort de la "net-économie", qui en étaient les plus ardents thuriféraires pendant l'hiver 99-2000 : cet indice passe en effet de 2000 à l'automne 98 à 2500 un an plus tard, bondit alors à 5000 en mars 2000 à un rythme décuple de sa tendance historique, pour retomber jusqu'à 1640 début avril, en repli des deux tiers par rapport à son sommet, avant que les efforts considérables déployés par la FED (avec 2,5% de baisse des taux en 4 mois, effort le plus spectaculaire depuis 16 ans) ne le fassent revenir à son niveau d'il y a deux ans et demi. Cette chute durant un an a induit de nombreux retraits de jeunes valeurs qui avaient surgi tout aussi brutalement : fin avril, le Nasdaq recensait déjà 147 retraits, contre 46 pour les quatre premiers mois de 2000. Le mois de mai a vu 32 cas comparables, dont 13 dans les secteurs de la technologie, l'informatique et la biotechnologie, portant à 179 le total des évictions depuis début 2001. Enfin, la croissance américaine passait de près de 5% à 1,3% l'an Ne se serait-il donc rien passé, qu'un rêve le temps de changer de millénaire, vite dissipé par d'amères désillusions? Il n'en est rien pour sept raisons au moins :

• l'effort de R&D inhérente à la société cognitive continue de croître, y compris aux Etats Unis Ainsi, en France la part de financement de la R&D pour le premier tour de table des start ups s'accroît en 2001 (51% contre 45%) : les entreprises technologiques surnagent, tandis que celles qui disposaient de moindres avantages comparatifs ou barrières technologiques à l'entrée sont moins nombreuses ; de même les réseaux de recherche se développent (RNRT, RNTL, réseaux européens…) Les Etats Unis, dans un contexte de relance par des réductions budgétaires, accroissent cependant la dépense publique consacrée à la R&D, de 9,1% en 2001, dont une part significative consacrée aux TIC. Les perspectives 2002 demeurent à la hausse, quoiqu'à un rythme plus lent. Corrélativement, une prise de conscience des enjeux de la propriété industrielle et intellectuelle s'accroît, qui tend à valoriser ces efforts.

• le commerce électronique reste porteur : En 2001 le B2C devrait progresser de 45% à 65 milliards en 2001 en Amérique du nord par rapport à l'an dernier, selon une étude du BCG. En 2000, les dépenses en ligne de consommateurs ont atteint 44,5 milliards de dollars, soit une croissance de 66%. Le montant total des transactions menées à l'intérieur des zones d'échanges B2B devrait croître de 16,9Mds$ en 2001, à près de 1 200 Mds$ en 2006. Dans le même temps, les revenus des opérateurs des places de marché devraient passer de 1,6 à 42,2 Mds$ d'ici cinq ans.
• le potentiel d'apprentissage des utilisateurs reste énorme, en particulier en Europe. Il y a un décalage entre des marchés financiers, induisant des réactions mondiales, et la réalité industrielle et commerciale, pour laquelle l'Europe reste avec un potentiel de croissance plus fort désormais que celui des Etats Unis : elle n'est plus dans une phase de démarrage, mais a des entreprises sur les nouveaux marchés technologiques qui ont pour certaines d'entre elles plus de 5 ans, et pour une majorité au moins deux ans : aucune révolution industrielle ne s'est faite en si peu de temps! Et les marchés étant dépendant de l'équipement en TIC des entreprises et des ménages, il reste à l'Europe un potentiel de croissance significatif (environ 35% d'équipement de la population en micros, contre plus de 55% aux USA, sachant que le marché sature, en l'espèce, bien avant 80%). Dans le seul cas de la France, il faut être conscient que la majorité des 10M d'internautes qu'elle compte ne le sont que depuis moins de 18 mois, et que peu d'entre eux ont encore accès au haut débit, ni n'ont eu le temps de se constituer leurs propres bases de ressources virtuelles, ce qui laisse des marges d'apprentissage considérables.
• les fusions récentes ont accentué les effets de réseaux. Elles ont dépassé 1200 Mds€ en 2000, en croissance de 56% sur deux ans, et aboutissent à des grandes structures mondiales, dont le fonctionnement met nécessaire en œuvre davantage les TIC.
• le capital risque continue de tirer les mutations de l'économie, avec des masses qui restent en croissance, si on supprime "l'effet bulle", non soutenable.

• Aux Etats Unis les fonds de capital risque ont investi pour les TIC en 1999 22,7G$ dans 1664 start-up, et en 2000 , 138,9G$ dans 7872 start-up, depuis le début de 2001 19,4 G$ dans 1708 start-up. On a donc un ralentissement, (-40% du 4è trimestre 2000 au 1er trimestre 2001 selon une étude de Price Waterhouse) mais pas un arrêt.
• En Europe, en 2000, on trouve 20 G€ dans 1985 start-up, depuis le début de 2001, 3,5G€ dans 506 start-up (y compris non TIC, mais 80% sont dans les TIC). Le ralentissement est moins fort qu'aux Etats Unis (d'environ 40%) (ce ralentissement est encore moindre si on prend les chiffres de l'European private equity & venture capital association, d'environ un quart plus élevés, pour des raisons de définition du périmètre : 5G€/an de 1989 à 1995 ; 7 en 1996 ; 10 en 97 ; 14,5 en 98 ; 25 en 99 ; 27 en 2000.
• Pour la France, les chiffres du tableau de bord de l'innovation d'avril 2001 indiquent que si l'on met à part le premier semestre atypique de 2000, la courbe continue à croître) ; cependant, les tours de table sont en moyenne moins coûteux, et le financement de projet nouveaux de dotcoms à faible capacité technologique est pratiquement arrêté.