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la gestion des connaissances : nouveau levier de performance et de compétitivité

27 avril 2000

gregoire

Intervention de Grégoire Postel-Vinay

 

 




Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
 
 
 

Il y a peu d'années, on entendait encore dans certaines zones de l'establishment, (qui ont d'ailleurs cessé d'en faire partie depuis) : "l'intelligence économique? ah oui, l'intelligence  à pas cher!" Ce temps est révolu. De ce que nous avons entendu ce matin, la "business intelligence", la gestion intelligente du savoir dans une société où la création de valeur et la connaissance sont de plus en plus liées, apparaît de plus en plus central dans les enjeux de compétitivité, et plus largement, de performance pour un très grand nombre de formes d'organisations. Il est d'ailleurs symbolique que la seconde visite du ministre de l'économie des finances et de l'industrie  hors de ses murs sitôt après sa nomination ait été pour un incubateur dans le "silicon sentier", lieu où s'élaborent les logiciels nouveaux qui sont à la base de cette nouvelle source de richesse, et des moyens de les vendre, et qui compte déjà près de 300 entreprises nouvelles, pour la plupart de moins de 3 ans d'âge. De même, la semaine dernière le secrétaire d'Etat à l'industrie ouvrait la conférence annuelle de l'IHEDN consacrée à l'intelligence économique : ce sujet, cantonné jusque vers 1995 à quelques spécialistes,  est désormais central, pour tous. Il l'est en France. Il l'est en Europe, dont les institutions commencent à s'en préoccuper. Il l'est aussi, bien sûr, aux Etats Unis, où le discours de Bill Clinton à l'université de Caltech en janvier insistait sur la croissance de l'effort de recherche publique, en 2001, sur des logiciels aidant à mieux se retrouver dans la marée montante d'une information toujours plus disponible, diffuse, diverse, reprenant en cela les recommandations du PITAC.

Sans prétendre épuiser et l'assistance et le sujet, que d'autres ont déjà eu mieux que moi l'occasion d'illustrer, j'articulerai mon propos sur les points suivants :

I Les enjeux pour les entreprises :
 
 

L'innovation est le mot clef : les technologies de l'information ont d'abord permi la gestion collective de l'épargne de façon massive, et par là, la prise de pouvoir de l'actionnariat. Cela exige des entreprises, partout dans le monde, des efforts de rentabilité qu'elles ne peuvent trouver qu'au prix d'un rythme d'innovation beaucoup plus soutenu qu'auparavant, source de croissance. En somme, nous revenons avec la troisième révolution industrielle dans une phase Schumpeterienne de destruction créatrice, source de croissance et d'emplois nouveaux, plus qualifiés. Or, la gestion des connaissances est une source essentielle de cette qualification déconcentrée de façon diverses à tous les agents des entreprises :
        * pour les nouveaux produits, où la perception des attentes du marché, des dernières avancées technologiques, de la connaissance précise de la concurrence, des droits de propriété intellectuelle et industrielle, sont des variables clefs, qui nécessitent des intranets et extranets performants.
        * pour les nouveaux marchés, l'internet créant, tant pour le B2B que pour le B2C, (voire le C2B où les acheteurs se groupent pour acheter moins cher), à la fois des possibillités énormes nouvelles (tel site de vente de vins a vu sa demande exploser d'endroits aussi imprévus par son marketing initial que le Japon, l'Australie, l'Amérique latine), avec des déplacements considérables de chaîne de valeur, mais aussi un champ concurrentiel accru.
        * pour les nouveaux procédés, où la comparaison de méthodes est accélérée dans de grandes proportions par les possibilités des intranets et extranets, et où le travail coopératif, la "coopétition" où des entreprises sont à la fois concurrentes sur certains segments, et en coopération sur d'autres, se développe.
        * pour les modes de travail, et les gains de productivité induits, où les changements organisationnels au sein des entreprises induits par les intranets sont considérables, et pour une large part encore devant nous : un rapport du Sénat américain de novembre indiquait ainsi une croissance de 25% du télétravail l'an dernier. Mais aussi, des pyramides hiérarchiques laissent place à des fonctionnements en réseaux virtuels, par projets, qui modifient profondément les légitimités, les réactivités, les relations au sein des entreprises.

La bonne nouvelle est que le solde peut être fortement positif : là où, voici trois ans encore, les économistes peinaient à trouver des idées pour que l'emploi parvienne tout juste à couvrir l'afflux de nouveaux entrants sur le marché du travail, on est désormais avec des soldes très nettement positifs, et, sur les trois ans qui viennent, des perspectives souriantes,  (près d'un demi million d'emplois) pour autant que des phénomènes spéculatifs ne viennent pas fragiliser la renaissance d'un tissu industriel dynamique, fondé sur de nouvelles entreprises, et de nouveaux métiers, et que la concurrence de fait accrue dans laquelle se trouvent désormais les Etats trouve des réponses appropriées, qui, à leur tour, joueront en faveur des entreprises.

L'évolution de l'investissement des entreprises depuis 25 ans est marquée par une constante augmentation de la part immatérielle, de moins de 15% du total au milieu des années 70 à plus du tiers aujourd'hui. Or, sous les rubriques statistiques de l'investissement immatériel, on trouve de la formation, de la recherche développement, du marketing et des études de marchés, de la publicité, des brevets et des marques, tous sujets qui renvoient au capital de savoir des entreprises, et à leur capacité à l'accroître, à le valoriser, à en induire des innovations et des sources de croissance.  C'est dans ce contexte qu'émerge une société de l'information, où une large part de la valeur est fondée sur la capacité cognitive des individus et des organisations qu'ils constituent. Rappelons en les principaux éléments :
        * L'explosion d'internet d'une part, des intranets et extranets d'autre part, en sont depuis un lustre la plus évidente manifestation. On est ainsi passé d'un réseau reliant environ 2000 ordinateurs en 1985 à un système interactif entre plus de 200 millions de micros aujourd'hui, soit une croissance au rythme moyen voisin d'un doublement tous les cent jours…
        * Concomitamment, les progrès des moteurs de recherche transformaient, pour tout ce qui relève de l'intelligence économique, comme pour la recherche, des métiers patients d'accumulation documentaire, au profit de sélections parmi des sources pertinentes de plus en plus nombreuses. On passait ainsi dans un premier temps d'une logique de gestion de stocks à une pratique de sélection de flux, et dans un second temps, qui est aujourd'hui ce que nous voyons, à une sélectivité et une organisation toujours meilleure de l'information ainsi sélectionnée.
        * Ensuite, les coûts de transmission de données étaient divisés de deux ordres de grandeur par les protocoles IP. La concurrence des grands réseaux de télécommunication continue d'abaisser ces coûts, et l'annonce récente par C Pierret de l'ouverture de la boucle locale va renforcer cette donne. L'apparition de techniques de hauts débits, à commencer par l'ADSL, accroît aussi la possibilité de mise en ligne d'information, et de leur appropriation à bas coût.
        * Enfin, l'acculturation des usagers se fait, assez rapidement dans ce pays déjà accoutumé  de longue date par le minitel à des informations numérisées, ce qui se traduit par un rattrappage : l'an dernier, il s'est vendu en France plus de micros que de téléviseurs. Le parc des portables, technologie dont la diffusion a été 10 fois plus rapide que le téléphone, devraient encore doubler en nombre d'ici 3 ans, et des sondages indiquent déjà que près de 20% d'utilisateurs de portables sont près à passer au WAP sitôt son apparition  en grand public, ce qui multipliera les possibilités d'usage nomade.

De fait, cette explosion transforme la vie dans les entreprises :

II Les évolutions des entreprises :

Sur cette question, les évolutions comme les problématiques diffèrent selon la taille des entreprises :

III Evolutions macroéconomiques :
 
 

Sans que ce soit ici le lieu de s'étendre sur la nouvelle économie induite par les technologies de l'information, il suffit de mentionner quelques chiffres :

IV Enjeux pour l'Etat :
 
 

Elément majeur dans l'évolution de la performance des entreprises, la gestion de l'information l'est aussi, naturellement, pour l'Etat : souligné dans le lancement par le Premier Ministre du thème de la société de l'information à l'été 1997, précisé lors de sa présentation du PAGSI de janvier 1999, renforcé par ses interventions à Hourtin à l'été 99, cet enjeu se traduit à la fois par une prise de conscience, des lois, des ressources, et des évolutions pratiques.

Elle se transmet à la fois par une expression publique de priorités, dont j'ai rappelé quelques exemples ci-dessus, et par des rapports, parmi lesquels il faut mentionner le rapport Baquiast sur le développement d'internet et d'intranets au sein des administrations l'Etat, celui sur internet et les PMI, qui en même temps conduit l'Etat à avoir une offre plus structurée et rationnelle, le rapport Lombard sur le brevet, le rapport Lefas sur l'information économique des entreprises, le rapport d'Attilio sur les collectivités locales, ou certains aspects développés dans les groupes de travail annexes au rapport Lorentz de février 99 sur le commerce électronique, ainsi que des opérations médiatiques comme les Electrophées. Le site " adminet " mis en place par les soins du conseil général des mines en recense 63, ce qui me vaudra sans doute la vindicte des 58 auteurs que je n'ai pas cités : qu'ils veuillent me pardonner : cette profusion prouve en elle-même la nature très réactive et déconcentrée de ce sujet. Tous les grands pays industrialisés ont un programme pour la société de l'information.
        * Il se traduit pour le sujet qui nous occupe dans les lois de finances, principalement par des mesures en faveur de la R&D, mais aussi par l'évolution donnée, au travers des budgets de l'éducation nationale ou de la formation, à une meilleure maîtrise des outils d'accès à l'information par chacun, et par certaines mesures favorables à la création d'entreprises technologiques.
        * Elle passe également par des négociations internationales (celle sur les brevets avec les perspectives de la conférence de Londres, comme des objectifs des Etats Unis et à l'OMC, celle sur le nommage est récurrente), par la libéralisation du cryptage fort, qui ouvre aux entreprises des possibilités nouvelles en matière de quête d'information sécurisée entre filiales distantes.
        * Elle passe aussi par le souci de la protection des personnes et de la vie privée, sans laquelle le développement de ces nouvelles technologies ne serait pas perçu comme favorable par la majorité de la population, et serait, dès lors, freiné.
        * Dans le cas français, elle comprend aussi la loi sur l'innovation de 99 qui, en favorisant une évolution culturelle au sein de l'appareil de recherche, pourra contribuer à une meilleure gestion des connaissances pour l'ensemble de la société.
        * plus fondamentalement sans doute, nous devrons traiter le changement même, à terme, des modes de consultation démocratique et de création d'expertise, que permettent les TIC, avec d'immenses avantages (l'interactivité, la rapidité, la transparence, la richesse de contenu) et de grands risques à prévoir aussi (la superposition dans le temps et l'espace de lieux de débats démocratiques sur des sujets identiques ou connexes, au point d'en rendre la lisibilité difficile, les risques d'appropriation sans rapport avec leur poids réel par des minorités de débats publics, les risques de surréactivité à court terme, ou de sous-réactivité sur des enjeux de long terme, l'évolution vers des formes de communautarisme qui établiraient des droits locaux dont la  compatibilité s'avérerait problématique...)
        * de façon synthétique, Christian Pierret devrait annoncer sous peu les principaux axes de la  loi sur les TIC.
Elles sont principalement de deux ordres : humaines, ce dont témoigne l'activité fébrile qui fait surgir partout des sites, et une administration plus interactive, plus dispensatrice de ses connaissances, tout en ayant le souci de conserver au marché de l'information tout son rôle. Financières, comme il a été dit, par du soutien à la R&D (par exemple, le programme " oppidum " sur la sécurité des systèmes d'information, qui accompagne la libéralisation du cryptage ou encore l'appel à propositions sur l'utilisation collective d'internet par les PMI), et enfin, d'investissement, dans les équipements nécessaires à la modernisation des administrations. Cet ensemble porte ses fruits :
        * dans le domaine régalien où la meilleure information sur la législation environnementale se développe
        * dans l'efflorescence de sites permettant de mieux guider les usagers, particuliers et entreprises, dans les ressources d'information disponibles (avec des expériences pilotes des DRIRE intéressantes, la mise en ligne des études publiques de l'Industrie, ou aussi une interactivité plus forte avec les programmes communautaires, en particulier ceux tournés vers l'innovation) ou encore, en interne, le développement d'intranets, avec l'éclatement de cloisonnements qu'il implique, l'Etat d'aujourd'hui diffère déjà très sensiblement de ce qu'il était il y a encore deux ans, et sans doute de ce qu'il sera dans quelques années. C'est d'autant plus nécessaire que la mondialisation accrue des groupes rend les problématiques d'attractivité du territoire à la fois plus aigues et plus complexes à traiter qu'auparavant, requérant, en théorie du moins, un Etat aussi réactif que peuvent l'être les entreprises, dans le respect toutefois de principes généraux comme l'égalité de traitement.
        * Il reste que ces modifications, qui impliquent des changements structurels parfois considérables, se sont heurtés aussi récemment à des difficultés, en matière fiscale, par exemple. Ceci illustre, entre autres, un aspect de la théorie évolutionniste de l'innovation, qui a fleuri depuis son acte fondateur en 1982 : l'histoire compte, pour l'évolution des trajectoires d'innovations. Et l'histoire n'est pas la même selon les fonctions de l'Etat, comme sont diverses les cultures que ses différentes composantes comportent, sous des dominantes communes. Ici bâtisseur ou inventeur, là, redistributeur, ailleurs, répressif, comment s'étonner que les changements massifs induits par les outils nouveaux de la connaissance rencontrent des réalités différentes, et des réactions différenciées. Pour autant, le principe même des évolutions nécessaires est bien perçu de tous les partenaires : il faut y voir des raisons d'espérer.
Conclusion
 
 

Les technologies de l'information ouvrent vers un monde nouveau, où tout interagit, où la cité n'est plus une, figée sur une colline comme l'Athènes antique, mais multiple, ouverte, mouvante. Pourtant, une constante demeure : dans le Parthénon trônait une statue d'Athéna, casquée et dotée d'une chouette : la gardienne de la cité avait les attributs de sa défense, en temps de guerre, et du savoir, source de sagesse et de prospérité, en temps de paix. Aujourd'hui, comme alors, l'essor de la chouette est un enjeu crucial, même si ses modalités ont changé : c'est sur ces modalités, sur les outils qui les modèlent qu'il nous faut nous pencher dans les années qui viennent.

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